0 Shares 3994 Views

Festival d’Avignon OFF 2025 : une dernière salve de coups de cœur !

Helène Kuttner 19 juillet 2025
3994 Vues

©Christophe Crénel

Voici la dernière sélection de nos coups de cœur du Festival Off : l’histoire d’une femme que la société et le travail ont rendu invisible, celle de Toussaint,  l’ancien esclave de Saint Domingue, devenu chef révolutionnaire, mais aussi l’atomisation d’un couple 2.0, le parcours imagé d’un enfant trop laid mais tellement malin et courageux qu’il revient par la grande porte. Et pour finir Michaël Hirsh qui nous redonne de la joie de vivre dans un beau numéro philosophico-comique avec son psy Fabrice Luchini. 

Dans le silence des paumes, la poésie intense d’une vie 

©Jeremy-Vitte

Un appartement, dans lequel trône un fauteuil vert. C’est le fauteuil de l’absente, cette mère qui a trimé toute sa vie, et voici ses enfants, maintenant de jeunes adultes, qui viennent ensemble la faire revivre, alors qu’elle était déjà vieille et malade. Loelia Salvador (Lélia), Nicolas Schmitt (Colin) et Florian Pâque (Florent), qui a écrit cette pièce, sont les trois enfants de cette mère courage dont la vie a été marquée par le travail, le deuil de son mari, et un nouveau emploi de secrétaire qui lui a brisé la tête. Ses enfants ? Deux de son premier mari, qui était plâtrier et qui arrosait de poussière blanche tout l’appartement, et un dernier né d’une union en forme de nuit d’amour, seul moment de plaisir que cette mère s’est autorisée à vivre durant son existence. Les trois rejetons sont ici, et se disputent leurs souvenirs pour prendre la parole. Qui d’entre eux la connaît vraiment ? Lequel a vraiment été embrassé, serré dans les bras ? Mais connaissent-ils vraiment la vie de leur mère, dont chacun tente de raconter, à sa manière, des épisodes de vie, des émotions fugaces, des souvenirs réels ou rêvés ? « Je viens d’un milieu où les bouches parlent moins que les corps » confie Florian Pâque, dont la pièce, magnifique de tendresse et de pudeur, procède par touches poétiques en superposant les répliques directes à une narration indirecte. On pense à Jean-Luc Lagarce avec ce récit théâtralisé, pris en charge par les trois narrateurs d’une même histoire. Sur le sol, un parcours de bidons de produits détergents de toutes les couleurs dessine les lacets d’une vie, dont le ménage, quotidien, industriel, a constitué la principale occupation. La javel, l’eau chaude, les cutters, les scotchs, les cartons, les gants en plastique ont transformé le corps de cette mère, la peau de ses mains, leurs paumes ridées, comme toutes celles des travailleuses précarisées et anonymes qui soumettent leurs corps à des cadences infernales. Les jeunes comédiens de ce spectacle sont absolument remarquables, et au milieu d’un public assis en cercle, fabriquent devant nos yeux des morceaux de vie et de mémoire, de souvenirs mêlés de révolte et de colère, pour exprimer, comme dans la superbe chanson de Jean Ferrat L’Embellie, la puissance et la douleur de ces vies brisées. C’est magnifique.

Théâtre du Train Bleu, MAIF espace Etoile à 12h30 (relâche le 18 juillet)

Toussaint Louverture, le souffle de la liberté

©Christophe Crénel

Voici un personnage hors du commun, remarquable tant par son origine que par son parcours, qui suit la trajectoire sans faillir d’une quête de liberté et d’indépendance pour sa patrie, Saint-Domingue, qui devint un an après sa mort, en 1803, Haiti. Toussaint Louverture naît esclave, mais devient affranchi lorsqu’il a trente ans, et alors qu’il apprend à lire et à écrire, se rapproche des mouvements révolutionnaires pour mener, en véritable héros guerrier, la révolte des esclaves à Saint-Domingue. Combattant les Espagnols qui avaient vue sur une partie de cette ile, puis les Anglais, il devient Général de Saint-Domingue où il règne en maître absolu en signant des traités commerciaux sur la canne à sucre. C’est à cette époque que Napoléon Bonaparte, soucieux de renouer avec la colonisation et la plus-value financière de celle ile riche en sucre, fait arrêter Toussaint. On arrête aussi les membres de sa famille, et on le rapatrie en France, au Fort de Joux en Franche-Comté, où il passe plusieurs mois dans un cachot glacé, sans aucune forme de procès, avant de mourir certainement de froid et de désespoir. Nadège Perrier a eu l’excellente idée d’imaginer Toussaint quelque temps avant sa mort, en compagnie d’un geôlier qui se prend de sympathie pour le héros. L’excellent comédien Tony Harrisson s’est saisi de cette pièce efficace pour endosser le fabuleux costume de ce héros, dans une scénographie carcérale sculptée par de belles lumières. Accompagné de Guy Vouillot qui incarne son geôlier, ainsi qu’un émissaire de Bonaparte qui vient tenter de lui soutirer des aveux de trahison. Ils sont tous les deux formidables d’engagement et ils nous transmettent, dans l’intimité d’un moment historique, un fabuleuse leçon d’humanité.

Théâtre des Corps Saints, à 19h

Peu importe, le couple dans tous ses états

©Vahid-Amanpour

On connaît le talent de l’auteur et traducteur Marius von Mayenburg, associé depuis une trentaine d’années à la Schaubühne de Berlin, dont le directeur Thomas Ostermeier, mais aussi bon nombre de metteurs en scène français et européens, ont monté les nombreuses pièces. Avec un brio et une acidité terrible, un humour analytique décapant, il aime disséquer les carcans et les rôles sociaux qui nous sont assignés, souvent dans la cellule familiale ou dans le couple. Ici, Simone, qu’interprète magnifiquement Marilyne Fontaine, et Erik, joué par Assane Timbo parfait, se disputent ce qu’il reste de leur relation amoureuse en morceaux. A l’égalité, l’attention réciproque, le dialogue bienveillant, succèdent le ressentiment, la jalousie et la frustration. Au milieu d’un amas de cadeaux empaquetés dans des boites multicolores, et de toutes tailles, Erik, qui est traducteur et éditeur, et peut ainsi télé-travailler à la maison et s’occuper des enfants, accueille sa femme Simone, une executive woman qui rentre d’un voyage d’affaires. Lui, en tee-shirt loose et jogging, semble être au bout du rouleau, et de ce fait ne prête pas attention au cadeau que Simone, gracieusement et à peine déshabillée, lui a rapporté de voyage. La discussion vient se greffer sur le cadeau, qu’Erik, empli de frustrations, ne daigne pas ouvrir, considérant que sa femme cherche surtout à se faire pardonner de partir si souvent. La situation ne tarde pas à s’inverser, soudain, quand c’est Erik qui rentre de voyage d’affaires, retrouvant Simone en jogging, dépassée par les tâches ménagères et les visites chez le médecin pour leur jeune enfant. Ils se coupent la parole, chacun y va de son ironie, de ses frustrations, aucun dialogue ne permet à ces deux insatisfaits de créer un semblant d’harmonie. Cette toute nouvelle pièce, traduite et mise en scène par Robin Ormond, est très bien servie par les deux comédiens qui nous offrent une vision pitoyable et féroce du couple, basé sur des égoïsmes et nourrie par un capitalisme dévastateur, qui exige toujours davantage de chacun de nous. Le spectacle s’installera dès le 12 septembre à la Scala de Paris.

Scala Provence, à 15h35 (relâche le lundi)

Okilélé, un rêve de spectacle pour tous publics

©guillemot.

Que faire quand on est un petit garçon que tout le monde rejette et trouve laid ? Okilélé n’est pas comme tout le monde, et ressemble à un petit éléphant avec une drôle de trompe et des oreilles en forme d’ailes d’ange. Malin comme un singe, doté d’une curiosité aussi tendre que généreuse, Okilélé s’équipe de sa cape de super héros et devient le meilleur copain de Martin le réveil, bien qu’il soit banni de la maison de famille et contraint de se loger sous l’évier de la cuisine. Le collectif Quatre Ailes a eu l’astucieuse idée d’adapter pour la scène l’album dessiné de Claude Ponti. La scénographie de Michaël Dusautoy déploie dans une pénombre fantastique un bric à brac d’objets insolites, machine à coudre, projecteur à diapositives, vieille télévision, tout un monde recouvert de papier blanc qui va progressivement s’animer, s’allumer. Annabelle Brunet et Emmanuel Laborde ont conçu une arche de Noé où le fameux éléphant Gradusse et sa trompe en tuyau d’arrosage, Profise Forêt la sorcière ou le Monstre apparaîtront sous une forme de marionnettes lumineuses, éclats de vie et d’illusion qui projettent dans l’espace le jeune héros, et le comédien et acrobate Damien Saugeon en est le narrateur. Un bonheur !

Présence Pasteur, à 9h30

Y a d’la joie : une bulle de bonheur et de lucidité avec Michaël Hirsch

©StephaneKerrad

Voici notre héros, 37 ans, et un bébé dans l’année, avec son nouveau spectacle dont le titre, inspiré par la chanson de Charles Trenet, nous emmène très loin avec l’impératif de prendre de distance avec nous mêmes. Peut-on décider d’être heureux ? C’est l’illusion de tous les diktats de développement personnel qui pullulent sur la toile et nous enjoignent, par la fréquentation quotidienne d’ne salle de sport, les suppléments vitaminés, le yoga du rire et du sexe, la thérapie de groupe, à être heureux pour mieux vivre, être plus rentable pour la société et moins coûteux pour la Sécurité Sociale ! Le bonheur, diktat suprême d’une société clean où tout s’achète, même les émotions ! Pour Michaël Hirsh, grandi dans une famille dotée d’un kit de survie pour le siècle entier, où on détaille, on analyse et on dissèque avant de profiter d’une bonne nouvelle, en écoutant en boucle du Léonard Cohen, la tâche est monstrueuse. Mais une échelle est installée sur la scène car la pente ascensionnelle est comparable à l’étape du Mont Blanc. Mais grâce à son mentor, le psy Fabrice Luchini, qu’il imite à la perfection, voila notre héros guilleret, décidé à se partager entre une cure de babas au rhum et une semaine intensive de rapports sexuels avec sa femme, oubliant la tentative d’escalade et de lâcher prise dans le ciel normand. Au fil d’un solo éblouissant de drôlerie, qui navigue finement entre une scatologie bon enfant et la liste scientifique des déclencheurs de la joie, l’acteur joue toutes les situations et tous les personnages avec un rythme léger et fluide, un sens du rythme et des scènes percutantes. Dans un monde qui va en ce moment de plus en plus mal, ce spectacle solaire et intelligent devrait être remboursé par la Sécurité Sociale.

Théâtre des Lucioles, à 11h50

Helène Kuttner  

 

 

 

 

En ce moment

Articles liés

Les Planches de l’ICART 2026 – Acte IX : l’appel à candidatures est ouvert !
Agenda
133 vues

Les Planches de l’ICART 2026 – Acte IX : l’appel à candidatures est ouvert !

Depuis huit ans, Les Planches de l’ICART, un tremplin de seul·e en scène organisé par les étudiant·e·s de l’ICART, met en lumière les voix et les corps qui feront vibrer la scène de demain. Cette année, l’Acte IX des...

« Les Petites Filles modernes (titre provisoire) » : le conte fabuleux de Joël Pommerat
Spectacle
200 vues

« Les Petites Filles modernes (titre provisoire) » : le conte fabuleux de Joël Pommerat

Au Théâtre Amandiers de Nanterre, refait à neuf après quatre années de travaux, l’auteur et metteur en scène Joël Pommerat réinvente l’adolescence, ses frayeurs et ses désirs d’absolu dans un conte qui tisse de manière fabuleuse le réel et...

La “Rolling Collection” à Tokyo : une ode à la créativité
Agenda
170 vues

La “Rolling Collection” à Tokyo : une ode à la créativité

Après avoir été présentée à Barcelone, Ibiza, Londres et Paris, la Rolling Collection a fait escale à Tokyo pour sa dernière étape de l’année. Organisée dans le monde entier par ADDA Gallery, l’exposition rend hommage à la ligne emblématique...